La rivière

Saveria était allongée nue au bord de la rivière. Elle regardait les lumières du ciel s’atténuer en passant ses doigts dans ses longs cheveux bruns trempés pour les démêler. Elle venait de se baigner et elle n’avait pas peur de se prélasser nue quand elle était seule, laissant la tendresse du vent sécher sa peau, allongée sur un de ces rochers plats qui surplombaient la rivière.

Elle se releva et regarda son reflet dans l'eau de la vasque. La jeune Corse appréciait son corps replet de “petit gnocchi”, comme l’avait appelée son fiancé Petru. Depuis qu'ils étaient jeunes, il aimait la taquiner en lui donnant des sobriquets absurdes. Leurs discussions et plaisanteries lui manquaient depuis qu’il étudiait la médecine à Rome, de l’autre côté de la mer. Ils s’écrivaient régulièrement, mais cela ne lui suffisait pas. Elle devait se montrer patiente, les études de médecine étaient longues et elle devait se résigner à attendre… Ce qui ne plaisait pas à ses parents qui étaient pressés qu'elle se marie. Elle soupira.

Ses cheveux n’étaient pas encore tout à fait secs, mais elle devait quitter son rocher si elle ne voulait pas marcher de nuit jusqu’au village. Les lueurs du jour s’affaiblissaient de plus en plus et les étoiles, dont elle connaissait les constellations, apparaissaient peu à peu. Elle remit sa robe pour rentrer et remplit la cruche familiale pour ramener l’eau nécessaire au repas.

Cette vasque où elle s’était baignée, derrière l’église de Sant’Antone, était paisible et connue des habitants du Nebbio, cette petite région annonçant le Cap Corse où elle avait vécu ses vingt premières années. Le ciel était clair et le brouillard ne s'était pas levé dans la vallée, car elle pouvait voir distinctement la mer au loin.

Elle cherchait instinctivement la grande ourse au-dessus de l’horizon quand un trait de lumière traversa le ciel. Saveria laissa échapper un cri d’étonnement, puis de ravissement. Ce n’était pourtant pas la saison des étoiles filantes mais celle-ci avait été particulièrement lumineuse. Quelle chance ! Elle se demanda si d’autres personnes l’avaient vue, et si un homme de lettres aurait la fantaisie de consigner l’événement dans l'un de ses cahiers.

« En cette douce soirée du 15 mai 1862, sous le règne de Napoléon III, apparition lumineuse surprenante et inexpliquée dans la province du Nebbio, sûrement un signe de longévité pour notre empire », elle rit de cette formule qu’elle avait imaginée de toutes parts. Elle cala la cruche en équilibre sur sa tête, puis commença le chemin de retour vers Santo-Pietro-di-Tenda, le village de sa famille.

Sur la route, elle fut plus rêveuse. Cette étoile était peut-être un signe finalement, un appel d’un monde vaste qui lui était encore inconnu. Elle espérait maintenant être la seule à l’avoir vue.